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L’industrie manufacturière tunisienne dans le creux de la vague : Certainement un désastre, peut-être une chance

Avec l’expansion économique de la Chine à la fin du siècle dernier, au cours des années 1980 et surtout 1990, et son positionnement en tant que plateforme industrielle mondiale, de nombreux pays de l’OCDE se sont interrogés sur l’avenir de leur industrie. Les Etats-Unis en tête, et à un degré moindre les pays européens, ont fait le choix de délocaliser une partie significative de leur industrie manufacturière vers des pays à moindre coût de production.

La Tunisie a bénéficié de ce choix stratégique, et a pris de l’avance sur ses concurrents du pourtour méditerranéen, d’abord grâce aux avantages accordés par la loi d’avril 1972, puis par le biais de la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne en 1995. Grâce à ce positionnement visionnaire réfléchi et voulu, la Tunisie a su développer une industrie manufacturière qui représentait plus de 20% du PIB à la fin des années 2000.

Par Sami ZAOUI,

Partner, MaghrebAdvisory Leader, FSSA

Technology & Telecom Leader | Consulting

Dix années de tourmente, conclues par une crise fatale

Aujourd’hui, l’industrie tunisienne est dans la tourmente. Au cours des dix dernières années, trois phénomènes se sont conjugués pour marquer la fin de l’ère industrielle entamée au début des années 1970. D’abord, la stratégie industrielle définie en 2008, qui prônait un repositionnement vers des activités à plus forte ajoutée n’a pas du tout été mise en œuvre ; cette stratégie est restée lettre morte, alors qu’elle devait donner un second souffle salvateur à notre industrie. Ensuite, les multiples perturbations politiques, sociales et administratives des dix dernières années ont certainement été à l’origine de la dégringolade de l’investissement industriel, créant un sentiment de ras-le-bol chez nos industriels. Enfin, la crise Covid-19 en Europe a fortement touché des secteurs économiques tels que l’automobile, l’aéronautique ou le textile, qui se trouvent être la destination de plus de la moitié de nos exportations industrielles.

La crise Covid-19 sera fatale à de nombreuses entreprises industrielles. Pouvoir d’achat dégradé engendrant une moindre consommation, crise économique dans nos marchés d’exportation, effondrement de l’activité de certains secteurs tels que le tourisme ou la restauration, faiblesse des fonds propres des entreprises, réticence des banques à accorder des financements dans un contexte économique difficile, … sont autant de facteurs qui seront à l’origine de nombreuses faillites.  Ceci est déjà une triste réalité, mais les mois qui viennent verront une accélération de ce phénomène.

Dans ce contexte, il appartient à la communauté économique en Tunisie de prendre les choses en main. Par communauté économique, nous entendons les Pouvoirs Publics, les partenaires sociaux représentant le patronat et les travailleurs et les acteurs concernés de la société civile. Prendre les choses en main, cela signifie de ne pas se résoudre à la disparition de centaines d’entreprises, ne pas accepter la désindustrialisation rampante comme une fatalité, ne pas courir le risque d’un décrochage économique de la Tunisie. Ceci ne se fera pas en claquant des doigts, pour le dire de façon triviale. Des réformes profondes devront être conçues puis mises en œuvre. Parmi celles-ci, trois initiatives majeures méritent d’être lancées sans tarder, avec une énergie et une volonté qui permettront d’éviter la perte irrémédiable d’une grande partie du tissu industriel.

Revenir à l’esprit de la loi de 1995 sur les entreprises en difficulté

Aujourd’hui, en février 2021, une partie significative du tissu industriel est menacée. Certaines de ces entreprises sont condamnées à disparaître, car elles n’ont pas su se transformer ou se repositionner au cours des dernières années. Mais d’autres entreprises, aujourd’hui en grande difficulté, ont des chances de passer le cap et de reprendre leur activité normale, moyennant une restructuration à plusieurs niveaux, notamment financière.

L’arsenal législatif de la Tunisie contient la réponse à cet enjeu, à travers la loi de 1995 sur les entreprises en difficulté. Au lieu de laisser les entreprises s’éteindre à petit feu, il conviendrait d’affronter la réalité et de mettre en œuvre les mécanismes de redressement des entreprises. Ceci suppose bien entendu que les actionnaires acceptent de façon lucide la réalité de la situation de leur entreprise, mais également que les banques et autres parties prenantes de l’entreprise s’intègrent dans la démarche d’allègement du fardeau financier de l’entreprise, afin d’empêcher sa faillite et de lui accorder les moyens de reprendre une activité dans des conditions qui assurent sa pérennité.

Faire de l’administration, l’alliée de l’entreprise tunisienne

Il ne nous semble pas utile de revenir sur les multiples difficultés que l’entreprise tunisienne rencontre à chaque fois qu’elle est en relation avec l’administration. Ce qui est aujourd’hui une évidence, c’est que cette situation ne peut plus perdurer, au risque d’entraver irrémédiablement la marche de milliers d’entreprises et de décourager les investisseurs potentiels. En agissant sur trois volets, il est possible de faire de l’administration une alliée solide de l’entreprise.

D’abord, après des années d’atermoiement et d’hésitations, il est grand temps de limiter drastiquement les activités soumises à autorisation et les multiples procédures nécessitant un accord préalable de l’administration. Devenons le pays de la liberté d’entreprendre et d’opérer. Ensuite, digitaliser doit être le nouveau mot d’ordre afin que toute étape de la création et du fonctionnement de l’entreprise soit placée sous l’angle de la transparence et de la simplicité. Trop de retard a été pris pour développer une administration numérique et ce retard a un coût direct pour chaque entreprise et pour l’économie tunisienne prise dans sa globalité.

Le troisième volet constitue à coup sûr le plus grand défi pour nos gouvernants. Au cours des années, une méfiance s’est progressivement installée à tous les niveaux au sein de l’administration mais également dans sa relation avec les entreprises. Les raisons de cette méfiance sont multi-factorielles : changements fréquents voire instabilité dans les directions d’administration, procédures imprécises engendrant une application stricte afin d’éviter toute suspicion, image dégradée de l’entreprise, … Afin de faire de l’administration une alliée de l’entreprise, il est nécessaire d’entreprendre un programme profond de conduite du changement, en agissant sur les mentalités et les comportements, en expliquant, en mobilisant la force publique autour d’un projet grandiose : la ré-industrialisation de la Tunisie.

Définir une stratégie industrielle 2030 de rupture

Mais l’ambition d’aujourd’hui doit dépasser le simple sauvetage du tissu industriel. La Tunisie a les ressorts et les atouts pour se repositionner dans les chaines de valeur industrielles régionales et (re)devenir une plateforme industrielle de poids. Ceci suppose de définir une stratégie industrielle de rupture, puis de la mettre en œuvre avec courage et détermination.

Arrêter une stratégie, c’est avant tout faire des choix structurants, qui engagent l’industrie sur la prochaine décennie. Cela signifie identifier les filières qui bénéficieront d’un appui marqué des Pouvoirs Publics. Cela veut dire, par transparence et a contrario, reconnaitre que certains créneaux, autrefois porteurs, bénéficieront d’une moindre importance dans la vision stratégique future. De nombreuses résistances se manifesteront, des lobbies industriels ou commerciaux feront pression, afin de préserver des positions acquises. Mais manager c’est décider, et la stratégie est le socle de l’avenir.

La stratégie industrielle 2030 se doit de se positionner en rupture par rapport à celle des dernières décennies. Innovation et valeur ajoutée doivent constituer le fil rouge de l’avenir industriel de la Tunisie : la transformation simple ou l’assemblage basique ou encore le conditionnement primaire ne permettront pas de développer l’industrie de demain. Il n’est pas question d’interdire la moindre activité industrielle en Tunisie, mais de définir celles qui seront au cœur de la stratégie future et qui bénéficieront donc de l’appui des Pouvoirs Publics.

Une fois opérés les choix stratégiques nationaux et sectoriels, les pactes de compétitivité constitueront le cadre permettant de décliner ces stratégies en plans opérationnels. Les pactes de compétitivité reprennent notamment les engagements des Pouvoirs Publics en termes de cadre législatif, d’infrastructures, de facilitation, … et il est important que la parole donnée par l’Etat, à travers la signature des pactes soit respectée.

Quant aux entreprises, seule la voie de la modernisation accélérée nous semble viable. Une orientation forte vers le concept de l’industrie 4.0 leur permettra de conduire la réflexion sur leur transformation opérationnelle, voire stratégique pour certaines d’entre elles, puis de la mettre en œuvre. Le baromètre EY de l’attractivité de l’Europe post Covid-19 paru en mai dernier, ne rappelait-il pas que le degré d’adoption de la technologie par les consommateurs, les citoyens et l’administration figure parmi les premiers critères de choix dans les futurs choix de localisation des investisseurs étrangers ?

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